« Oui Chef ! » La Haute couture des saveurs par Christian Le Squer

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Christian Le Squer - Restaurant Le Cinq - Four seasons Hotel George V Paris - L'Edito Magazine
Christian Le Squer - Restaurant Le Cinq - Four seasons Hotel George V Paris - L'Edito Magazine

De la rivière d’Etel en Bretagne au 31, Avenue George V à Paris, le célèbre Chef étoilé, Christian Le Squer a tissé 1001 saveurs gourmandes qui l’ont propulsé au milieu des firmaments de la gastronomie, parmi les meilleurs artistes culinaires qui font la cuisine française d’aujourd’hui et de demain. Simple, curieux, passionné et perfectionniste, « cet artisan de l’excellence à la française » nous reçoit au coeur du restaurant Le Cinq, un lieu de vie « Haute Couture » auquel le célèbre guide Michelin a attribué une troisième étoile en 2016 grâce au travail acharné du maestro breton et de toutes ses équipes. L’interview qui suit, révèle l’histoire d’un homme humble, amoureux des bons produits et des gens, influencé par le Bon et le Beau avec un grand intérêt pour l’univers de la mode et du parfum.

Christian Le Squer, qui vous a insufflé cette passion pour la cuisine et la gastronomie ? Bienvenue au coeur de ma cuisine, je suis ravi de vous accueillir dans mon univers créatif au milieu de mes équipes. J’ai vu le jour en Bretagne, dans le Morbihan, le 30 septembre 1962 à Plouhinec, dans la région de la rivière d’Etel. Mon lieu de naissance est qualifié de pays des «sauvages». Contrairement à beaucoup de chefs(fes), ce n’est pas une grand-mère, une maman ou un autre membre de la famille qui a éveillé ma passion culinaire. J’ai toujours été gourmand et curieux. 

A quand remonte ce premier souvenir qui vous connecte à votre métier ? A l’âge de 12 ans, durant mes vacances scolaires, sur les conseils de ma maman, j’ai accompagné mon oncle et ses hommes sur son chalutier de pêche en pleine mer. Durant une dizaine de jours, en tant qu’observateur, j’étais aux côtés du cuisinier qui a éveillé en moi l’intérêt pour les fourneaux. J’ai ainsi constaté et compris le rôle social de la cuisine, le plaisir que cela procure de nourrir et de manger à une même table. Suite à cette expérience culinaire et maritime, je me suis inscrit dans une école hôtelière à Vannes. Une fois mon diplôme en poche, j’ai commencé à travailler dans quelques établissements à Carnac et Quiberon jusqu’au jour où un restaurateur m’a poussé à me rendre à Paris car selon lui, il fallait faire ses armes dans la capitale pour devenir un bon cuisinier. 

L’expression dit « On monte à Paris », Parlez-nous de vos débuts dans la Capitale…  En tant que jeune débutant, j’ai connu quelques difficultés dans la Ville Lumière vu que je savais uniquement préparer des plateaux de fruits de mer. De plus, je travaillais dans de grandes structures de la restauration où je n’avais pas le temps de m’attarder à l’apprentissage du travail et de la transformation des produits d’excellence. 

Restaurant Le Cinq - Four seasons Hotel George V Paris - L'Edito Magazine
Restaurant Le Cinq - Four seasons Hotel George V Paris - L'Edito Magazine

Comment la transition vers les grandes maisons parisiennes s’est-elle faite ?  Lors de mon service militaire à Saint-Augustin, j’ai eu l’opportunité de rencontrer de jeunes militaires qui officiaient dans de grandes maisons parisiennes. Ils m’ont expliqué ce qu’était une «brigade». Pour moi, c’était une curiosité car dans mon expérience bretonne, l’univers de la cuisine était uniquement composé d’un plongeur et d’un cuisinier. Ces récits du fonctionnement d’un grand restaurant, du guide Michelin me faisaient rêver et en 1980, dès la fin de mon service militaire, j’ai eu comme objectif de rejoindre ces grands établissements et leur brigade pour transformer ces rêves en réalité. Malheureusement, ces lieux idylliques n’étaient pas tentés de donner la chance à un jeune cuisinier comme moi, capable uniquement de préparer un plateau de fruits de mer et un oeuf mayonnaise. En 1982, la chance m’amena au restaurant lillois « Le Flambard », deux étoiles au guide Michelin en tant que commis de cuisine. Ma carrière dans les Grandes Maisons de la Cuisine Française débuta ainsi dans le Nord de la France. Comme j’aimais lire la presse culinaire, une année plus tard, j’ai appris que le célèbre chef Jacques le Divellec avait décidé de quitter La Rochelle pour s’installer à Paris. J’ai saisi l’opportunité de revenir dans la capitale par la grande porte en lui envoyant ma candidature et je l’ai ainsi rejoint en tant que premier commis pour ouvrir son restaurant Le Divellec. Par la suite, j’ai pu peaufiner mon expérience professionnelle dans la Haute Gastronomie en passant par de très belles Maisons comme Lucas Carton, Le Taillevent ou le Ritz. 

Quand avez-vous gagné vos premières étoiles ?  En tant que chef, je décroche ma première étoile en 1996 au Café de la Paix, restaurant à Opéra. Deux années plus tard, j’y obtiens une seconde étoile qui m’apporte un élan significatif dans ma carrière. En 1999, j’accepte le challenge de reprendre les rênes des cuisines du Pavillon Ledoyen et trois ans plus tard, mon travail y est récompensé par l’obtention d’une troisième étoile au guide Michelin. Parallèlement, j’ouvre deux établissements gastronomiques, l’Etc en 2008 et La Grande Verrière en 2011. Fin 2014, je rejoins les cuisines du Four Seasons Hotel George V avec comme mission de décrocher trois étoiles au bout d’une année, ce qui sera une mission accomplie en 2016 pour la table du restaurant le Cinq où j’officie toujours. 

Le travail en cuisine tient plus de celui du designer en atelier avec son équipe ou du coach sportif ?  J’avais une telle volonté de placer ce restaurant dans l’excellence que j’ai entraîné toute une brigade, celle dont je rêvais en 1980, pour réussir à atteindre ce bel objectif. Ensemble, nous avons travaillé de toutes nos forces pour décrocher cette récompense au bout de seulement une année pour le plus grand plaisir de notre établissement et de sa clientèle. Le chef a sa brigade, le designer est entouré d’une équipe et il faut être aussi un peu coach pour emmener un établissement vers son succès… Créer une belle harmonie, fédérer un esprit fort dans sa brigade pour gagner des étoiles et valoriser nos expertises…

Selon vous, peut-on être à la fois chef, artisan et artiste ? Le processus créatif dans les trois univers dont vous me parlez reste sensible, à l’écoute et en recherche d’innovations permanentes… C’est assez semblable avec la passion sur la touche « on ». Un chef, c’est naturellement un artisan. D’ailleurs, je me considère moi-même comme un artisan des saveurs. Je compose des notes olfactives, des touches gustatives comme un parfumeur… Et… En même temps, le chef artisan que je suis, crée des collections comme un artiste. Le chef dépend du plat, des produits de saison comme un(e) couturier(e) dépend d’une étoffe, de l’épaisseur du tissu, et bien évidemment de la saison… L’artiste culinaire et le styliste travaillent de façon similaire. Entre l’hiver et l’été, on mange et on s’habille différemment. En ce qui concerne le parfum, on porte des notes plus miellées l’hiver alors que l’été, on part vers des notes d’agrumes. Il en est de même pour les saveurs des plats. Tout cela est lié à cette culture de l’art de vivre à la française qui nous unit, les artistes, toutes et tous, les uns avec les autres.

Restaurant Le Cinq - Four seasons Hotel George V Paris - L'Edito Magazine
Restaurant Le Cinq - Four seasons Hotel George V Paris - L'Edito Magazine

Où puisez-vous votre inspiration ? Quelles sont les différentes étapes qui vous amènent à créer un plat ? Je me nourris de tout pour créer. Une photo dans un magazine, un paysage de campagne, un bouquet de fleurs, une collection de vêtements, tout m’inspire. Je suis quelqu’un de curieux et tout retient mon attention. Je voyage énormément et je puise cette inspiration dans mes escapades aux quatre coins du monde. Dernièrement, je me suis rendu à Istanbul et en me promenant sur un marché, mon attention s’est focalisée sur des loukoums. Cela m’a donné envie de revisiter le loukoum pour lui apporter une touche plus française ou bretonne en imaginant un loukoum avec de la bière et du sarrasin. Je suis un homme de saveurs et donc, je suis à la recherche de nouvelles notes, de nouvelles associations culinaires pour créer de nouvelles émotions gustatives.

Quel est votre regard sur la mode ? Etes-vous attentif à certains(es) stylistes ? Quelle Maison vous fait rêver ? Je suis admiratif du styliste Hedi Slimane qui a changé la femme Yves Saint Laurent comme il a changé l’homme chez Dior. On peut le comparer à mon cas personnel car j’ai changé le style de la Table du Cinq au Four Seasons Hotel George V en y apportant mes inspirations et ma propre culture culinaire. Comme Hedi Slimane, je suis allé bien au-delà des règles existantes pour apporter un nouveau souffle dans la maison qui m’a accueilli. La Maison Hermès me fait également rêver. J’ai le sentiment que les collections s’adaptent naturellement à leur époque. Chaque produit Hermès est un véritable bijou, fruit de l’artisanat français. La Maison Berluti m’intéresse également. On y redessine l’homme de la rue avec une élégance qui colle à notre époque, l’homme qui aime les beaux matériaux appréciant être élégant, tout simplement.

La mode questionne aussi la parure, le paraître, le statut… Globalement, ce qui me plaît dans la mode, c’est ce retour à des choses plus simples. J’aime lorsque le vêtement ou l’accessoire est pensé, élaboré, créé sans trop d’artifices afin que les hommes et les femmes se sentent à l’aise au quotidien. Il en va de même dans la Haute Gastronomie. Nous travaillons le produit pour proposer des saveurs authentiques sans surfaire. L’objectif principal étant la découverte de nouvelles associations de produits en ayant ce sentiment de légèreté à la fin du repas.

Votre définition du luxe ? Le luxe, c’est la simplicité, l’élégance naturelle… Il faut que tout soit le plus simple possible, c’est la pureté des choses qui doit éveiller notre intérêt. Les consommateurs(trices) ont besoin de se retrouver autour de la simplicité et de l’authenticité et donc, autour de bons produits. Il faut être dans la vérité en toute circonstance pour vivre ce luxe, ce retour à l’excellence.

Votre regard est comme un polaroïd qui capte des instants, des sensations, et garde des souvenirs à transmettre ? Une bonne image ! Les formes proposées dans une oeuvre me permettent de destiner l’architecture d’un mets. On met des volumes dans l’assiette, c’est donc naturel d’être interpellé par des lignes, des courbes, des sculptures et des peintures… L’émotion renvoyée par les couleurs et les harmonies est toujours un point de départ...

Quel est votre petit twist qui signe votre différence ? Je crois qu’il faut être ouvert sur notre monde et essayer d’être connecté à lui tout en étant avant-gardiste. Le bien-être, la consommation responsable, le principe de l’esprit sain dans un corps sain sont ancrés dans la tête de nombreuses personnes. En tant que chef, je dois réfléchir sur des plats travaillés avec moins de gras, des sauces plus fruitées pour être entièrement connecté à notre époque et insuffler de nouvelles modes culinaires. Dans notre métier, comme dans tous les univers artistiques, rien n’est figé, c’est à nous d’innover et de lancer de nouvelles tendances. C’est le rôle des chefs de la Haute Gastronomie d’apporter de la modernité dans le goût français. Par exemple, si on aborde les produits de la chasse, les gibiers, on peut prendre le temps de réfléchir à apporter davantage de fraîcheur aux produits afin de les consommer autrement.

Donc, en permanence, vous respirez l’air du temps ? Nous sommes dans une époque où nous aspirons davantage à des notes végétales et fruitées plutôt qu’à des notes purement animales. Il y a une transformation de notre société mondiale notamment grâce aux nouvelles technologies et notre métier de chef doit tenir compte de toutes les nouvelles évolutions qui créent de nouvelles tendances. Nous sommes devenus des acteurs des réseaux sociaux et nous sommes au courant de toutes ces nouvelles modes auxquelles nous nous adaptons. Personnellement, je suis très curieux, je vais lire les blogs, consulter les réseaux sociaux pour m’inspirer de ce monde moderne et connecté.

Mais dans ce monde où vous êtes connecté, quel est votre essentiel ? Pour créer un plat, ce qui m’importe, c’est d’abord la sélection de la matière première, ensuite on assemble des parfums afin d’atteindre l’équilibre des goûts et des saveurs. J’aime travailler des parfums et des saveurs que nous n’avons pas l’habitude d’associer afin de créer la surprise, le bonheur visible sur le visage de celui ou de celle qui déguste ce plat. Ensuite, nous travaillons le design de l’assiette. Chaque plat doit être un plaisir relayé par tous les sens et l’épicurien(ne) qui déjeune ou dîne à ma table doit être en forme après l’expérience culinaire. Un repas ne doit pas être alourdissant tout en restant agréable et gourmand.

C’est une remise en question et un apprentissage permanent ? Tous les jours, nous focalisons une partie de notre temps dans la recherche et le développement pour créer des cartes Printemps-Été et Automne-Hiver. Ces cartes sont à l’image des maisons de mode. Ce sont des collections au fil des saisons, pour être au plus près des tendances tout en respectant la saisonnalité des matières premières. Tous les jours, dans notre département recherche et développement, nous goûtons des saveurs pour proposer une carte innovante et créative. Chaque collection est réalisée « élément par élément », non pas assiette par assiette. On reste dans l’artisanat. Mon objectif final reste toujours le plaisir et la satisfaction de voir mes clients(es) apprécier mes plats.

Votre approche sensible et intelligente nous emmène vers un parallèle entre cuisine, mode et parfumerie ? Dans les trois domaines, nous sommes les ambassadeurs de cet art de vivre à la française. Le processus de création reste très similaire. Nous nous basons sur un savoir que nous adaptons à notre époque et aux nouveaux moyens d’élaboration. Nous travaillons notre curiosité et notre capacité d’observation pour proposer de nouvelles tendances, des directions artistiques...

Donc, nous sommes dans les Métiers d’Art ? Il y a une cuisine « Haute Couture » en France, une Haute Gastronomie raffinée et d’excellence que nous retrouvons notamment dans les restaurants étoilés et ce que je propose au restaurant Le Cinq. Notre clientèle est composée d’épicuriens(nes) avertis(es), de personnes cultivées à la recherche de l’exception comme un(e) client(e) désireux(se) d’acheter une pièce unique dans une Maison Haute Couture de la Mode.

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